Vous avez dit EMDR ?

Non, même si beaucoup y ont pensé, l’EMDR n’est pas l’acronyme de « Encore Mort De Rire ». Et c’est d’ailleurs une pratique très sérieuse !-)

Littéralement « Eye Movement Desensitization and Reprocessing » ou, en français, « Désensibilisation et Retraitement par les Mouvements Oculaires », cette méthode thérapeutique a été développée par la psychologue américaine Francine Shapiro afin de traiter les patients souffrants de stress post-traumatiques. 

À l’origine, en 1987, Francine Shapiro découvre que des mouvements oculaires volontaires peuvent atténuer l’impact émotionnel de souvenirs perturbants. Rapidement mise à l’épreuve d’études scientifiques, cette observation empirique se voit confirmée par plusieurs travaux parmi lesquels ceux de Maxfield, Luber et Shapiro (2007) ou encore de Van der Kolk et al. (2007), qui démontrent son efficacité dans l’intégration adaptative des informations, facilitant ainsi la résolution des souvenirs traumatiques.

Francine Shapiro

Les recherches qui s’ensuivent, telles que menées par Bisson et al. (2013), ont montré que l’EMDR était aussi efficace, voire plus, que d’autres approches thérapeutiques dans le traitement des traumatismes. Le poids de ce corpus scientifique incite l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à recommander l’EMDR dans le traitement des troubles du stress post-traumatique (TSPT) chez les enfants, adolescents et adultes, dès 2013. Cet outil thérapeutique est également reconnu par l’American Psychological Association (APA), l’Institut National pour la Santé et l’Excellence Clinique (NICE) au Royaume-Uni, ainsi que l’Association Européenne de Psychothérapie (EAP). 

Plus récemment, des études ont élargi l’application de l’EMDR aux traumatismes dits « complexes ». Il s’avère en effet qu’un traumatisme n’est pas réductible à un événement violent et ponctuel qui dépasserait notre potentiel d’intégration neuroémotionnelle. 

Bien des situations peuvent déborder nos capacités de traitement psychique. Certaines parce qu’elles nous ont prises de court ou se sont au contraire longuement répétées comme dans les cas de harcèlement au travail, ou de maltraitance. D’autres parce que nous étions trop immature au moment des faits comme peuvent l’être de jeunes enfants ou des personnes en situation de vulnérabilité. D’autres vécus peuvent aussi ébranler certaines de nos croyances les plus profondes et en cela déstabiliser notre organisation psychique.

Par cette approche plus fine de la clinique des souffrances « post-traumatiques complexes », de nouvelles études ont confirmé l’intérêt de l’EMDR dans le traitement de l’anxiété, de la dépression, mais aussi des troubles du comportement alimentaires, des addictions, des douleurs chroniques ou encore des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), des troubles du spectre autistique lorsque des expériences traumatiques participent à la pathologie.

En cela, l’EMDR est aujourd’hui considérée comme une approche thérapeutique efficace pour aborder non seulement les événements individuels, mais aussi les schémas de souffrance qu’ils ont engendrés.

Les 5 versions du « cri » peintes par Edward Much

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Comment cela fonctionne ?

L’EMDR repose sur des processus neurologiques encore en cours d’exploration. Ce que nous savons, grâce aux recherches en neurobiologie, c’est que l’EMDR active plusieurs régions du cerveau, notamment celles impliquées dans le traitement des émotions et de la mémoire. Des études en imagerie cérébrale, telles que celles de Pagani et al. (2012), montrent que l’EMDR entraîne une désactivation de l’amygdale (impliquée dans la réponse émotionnelle) et une activation du cortex préfrontal (associé à la régulation des émotions et à la cognition).

En outre, les stimulations bilatérales alternées (SBA), éléments clé de l’EMDR, semblent activer le thalamus, une structure cérébrale centrale dans l’intégration sensorielle et la transmission de l’information vers le cortex. Selon Katanobu Yoshii dans the International Journal of Moleculars Sciences, (2021), le thalamus joue un rôle prépondérant dans le rééquilibrage des circuits neuronaux en modulant les réponses émotionnelles et cognitives. Il est suggéré que cette activation thalamique, induite par les SBA, pourrait faciliter la communication entre les régions du cerveau impliquées dans la mémoire et l’émotion, contribuant ainsi au retraitement des souvenirs traumatiques. Ce rééquilibrage neurobiologique, renforcé par l’implication du thalamus, semble permettre une réintégration adaptative des informations traumatiques, en atténuant leur charge émotionnelle et en les recontextualisant de manière moins perturbante.

Un aspect singulier de l’EMDR est sa capacité à traiter des souffrances ancrées jusque dans ce que l’ont nomme les « engrammes ». Il s’agit de traces mémorielles inscrites dans le cerveau mais aussi dans des structures neuronales autonomes, telles que le système nerveux entérique (« le cerveau du ventre »), le cœur et même la peau. Ces centres de mémoire influencent profondément notre bien-être émotionnel et physique. Selon Joël Birman dans « Figures de la Psychanalyse » (2007), un engramme est « un ensemble de marques neurobiologiques résultant de résistances s’opposant à la libre circulation des excitations. » Nous parlons bien d’entraves, d’obstructions, de barrages dans les mouvements les plus profonds de notre économie psychique. 

Et c’est à ce niveau des blocages de l’engramme que L’EMDR, par le biais des Stimulations Bilatérales Alternées (SBA) — mouvements oculaires, tapotements ou sons alternés —, tend à liquider l’énergie émotionnelle associée aux souvenirs traumatiques. Ce processus permet de rétablir un équilibre intérieur et de favoriser l’autoguérison naturelle du sujet, une capacité inhérente à tout être vivant.

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Concrètement, comment se déroule une thérapie en EMDR

Toute séance d’EMDR commence par une phase d’entretien clinique approfondi. Ce moment est indispensable afin d’évaluer l’état actuel du patient, d’explorer la manière dont il vit le traitement et d’identifier les points d’attention à observer pendant la séance. Ce suivi clinique permet de personnaliser l’approche en fonction des besoins spécifiques du patient et d’assurer une sécurité psychologique tout au long du processus thérapeutique.

La thérapie en EMDR observe plusieurs phases protocolisées dont la logique est de :

=> Cibler des traumatismes clés afférents au tableau clinique présenté par le patient.

=> Mettre à jour des croyances négatives autour desquels se sont organisés les schémas actuels de souffrance.

=> Désensibiliser par l’usage de Stimulations Bilatérales Alternées (SBA) l’ensemble du réseau de souffrance qui s’est établi autour du vécu traumatique

=> Reprogrammer bénéfiquement l’ensemble de ce réseau par l’installation de croyances positives relatives à chaque évènement retraité.

=> Installer des projections positives futures en réaction à ce qui déclenchait le mal-être du sujet.

En somme, il a du pain sur la planche. J’ai pour ma part choisi de proposer des temps de consultation d’1h45 afin de travailler avec précaution. Cela permet de prendre le temps d’installer des outils de « stabilisation » adaptés et de respecter le rythme propre à chaque patient.

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EMDR et Hypnose

L’EMDR étant une pratique récemment reconnue (1990) et probablement désireuse de sortir son épingle du jeu foisonnant des thérapies actuelles, on omet souvent d’évoquer ses liens étroits avec l’hypnose. Il s’avère pourtant que Francine Shapiro y était formée et qu’elle en a inclus nombre d’éléments à ses protocoles. 

Par son usage des Stimulations Bilatérales Alternées (SBA), l’EMDR peut être envisagé comme un approfondissement de ce que l’on nomme des « phénomènes hypnotiques ». 

L’image d’épinal de l’hypnotiseur agitant un pendule devant les yeux d’une personne en est un exemple. L’implication du corps selon les techniques de Rossi (bras ou doigts qui se rapprochent irrésistiblement) en est un autre. En cela, l’EMDR recourt aux compétences aussi bien corporelles, mentales, qu’émotionnelles du sujet pour l’aider à reprendre le cours du traitement de ce qui, en lui, est resté en souffrance. Tout comme l’hypnose, la richesse de cette technique réside dans le fait qu’elle travaille constamment dans l’écoute dynamique du corps, du cœur (émotions) et de l’esprit (mental). 

Si, lors d’une séance d’EMDR, l’état de conscience modifié est léger, les apports de l’hypnose servent aussi à la mise en place de « stabilisateurs ». Ils permettent d’assurer une sécurité psychologique au patient qui peut s’ancrer confortablement malgré la houle des remaniements induits par le retraitement de l’information. Parmi eux, « le lieu sûr », ou encore « le contenant » (psychique) sont d’emblés mis en place. Et suivant la sensibilité du patient, il est possible d’avoir recours à d’autres techniques d’ancrages plus adaptées à ses besoins.

Grâce à cette association de l’hypnose et de l’EMDR, la « douceur » des séances permet à l’inconscient de rester plus ouvert et réceptif, tout en réduisant l’activation des ses mécanismes de défense.

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Cette approche intégrative fait de l’EMDR une méthode thérapeutique particulièrement subtile. Sa pratique permet au patient non seulement de lever ses entraves émotionnelles jusque dans ses engrammes mais elle lui offre aussi la possibilité de rétablir son équilibre global et son organisation psychique.

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Bibliographie : 

  1. Shapiro, Francine. Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR): Basic Principles, Protocols, and Procedures. 3rd ed., Guilford Press, 2018. 346 pages.
  2. Maxfield, Lisa, Luber, Michael, and Shapiro, Francine. EMDR and the Relational Trauma Model: Integrating EMDR with Relational Strategies. In Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence – From Domestic Abuse to Political Terror, edited by Judith Herman, Basic Books, 2007. 320 pages.
  3. Van der Kolk, Bessel A., McFarlane, Alexander C., and Weisaeth, Lars. Traumatic Stress: The Effects of Overwhelming Experience on Mind, Body, and Society. Guilford Press, 2007. 528 pages.
  4. Bisson, Jonathan I., Roberts, Neil P., Andrew, Michael, Cooper, Richard, and Lewis, Christine. Psychological treatments for chronic post-traumatic stress disorder: Systematic review and meta-analysis. British Journal of Psychiatry, vol. 200, no. 2, 2013, pp. 93-100. doi:10.1192/bjp.bp.111.106270.
  5. Pagani, Marcello, et al. Brain activation during EMDR processing of trauma memories: A positron emission tomography study. Journal of Clinical Psychiatry, vol. 73, no. 3, 2012, pp. 225-234. doi:10.4088/JCP.11m07110.
  6. Yoshii, Katanobu. The Role of the Thalamus in Processing Emotional and Cognitive Information During EMDR. International Journal of Molecular Sciences, vol. 22, no. 4, 2021, pp. 1-15. doi:10.3390/ijms22041793.
  7. Birman, Joël. Figures de la Psychanalyse: Les Paradigmes et les Innovations Théoriques. Éditions Payot, 2007. 320 pages.
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