Et s’il suffisait de connaître quelques principes de notre mémoire pour l’utiliser enfin à son plein potentiel ?
Lorsque j’ai été diplômée, je n’ai pu recevoir mon titre de psychologue qu’à la condition de m’engager à me former toute ma vie. J’ai signé, car je croyais savoir apprendre.
Mais, quand j’ai découvert les mécanismes et les techniques qui suivent, j’avoue avoir regretté de ne pas les avoir connus plus tôt.
Car la mémoire n’est pas juste une compétence innée et encore moins limitée. Tout comme nos capacités physiques, elle peut être développée, renforcée, optimisée. Et ce de manière ludique !
Voici comment.
La première grande règle est : APPRENDRE / APPLIQUER / PARTAGER
Vous comprenez pourquoi je vous écris ces articles ? Et oui, cela me sert à mieux retenir ce que j’ai appris. ^^ Mais pourquoi donc ?
Les composants de la mémoire
Les articles (ou fiches mémento) ne sont que la partie émergée de l’iceberg de l’apprentissage.
Sans la mémoire à court terme, rien n’aurait été possible. C’est elle qui permet de retenir temporairement les informations (lues, entendues, expérimentées…) pour les mettre « en discussion » dans le cerveau.
La mémoire sensorielle fournit la trame perceptive de l’expérience. Immédiatement transmise au système limbique, elle est traitée par les processus émotionnels qui en évaluent la valeur et en nuancent la consolidation mnésique.
Grâce à la mémoire épisodique, nombre d’éléments nouveaux font écho à des savoirs anciens, à des expériences personnelles auxquels ils se rattachent alors.
L’information acquise est mise en mots via la mémoire sémantique. La formation de nouvelles pensées permet une réflexion sur celles-ci ainsi que leur structuration logique.
Donner ensuite une forme partageable à ces données fraîchement acquises, creuse encore le lit de leur inscription dans la mémoire à long terme.
Si on se les rappelle de temps en temps, il y a de grandes chances pour qu’elles rejoignent nos connaissances, nos compétences ou même nos habitudes de vie.
Avant toute chose : poser une intention
Le plus souvent, si nous retenons des informations, c’est que nous en avons eu l’intention. Lorsque le cerveau comprend que ce qu’il lit, écoute, visionne ou expérimente va lui être utile, il s’active !
C’est ce qu’ont démontré les psychologues Edwin A. Locke et Gary P. Latham, dès 1990. Selon leur expression, la « Goal-Setting Theory » renforce la disponibilité cognitive, les capacités attentionnelles, la concentration et les facultés mnésiques.
Ainsi, poser nos objectifs agit comme un phare qui guide l’information vers des circuits cérébraux pertinents.
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Encodage actif : le jeu du tissage cognitif
La clé de la mémorisation consiste en la qualité de son encodage. Autrement dit, dans la manière dont l’information brute a été transformée en une représentation vivante et accessible en nous.
Tout va alors reposer sur nos capacités et nos efforts de tissage cognitif.
Ce que j’appelle ici le « tissage cognitif » consiste à associer l’élément nouveau que l’on veut retenir à d’autres inscrits dans nos mémoires les plus profondes.
Dès lors, plus on multiplie les registres de tissage cognitifs, plus on s’assure de la viabilité de l’information dans notre cerveau.
Quelles en sont les portes d’entrée ?
La sensorialité :
Tout commence toujours par nos perceptions. Et plus nous associons l’information à ce que nous voyons, entendons, touchons, sentons ou même goûtons, plus nous rendons l’encodage robuste.
C’est ainsi que l’information citron est certainement stable pour vous, car elle ne se résume pas à une petite balle jaune. Vous connaissez son goût, son odeur, la texture de sa peau sous vos doigts, la multiplicité de ses formes, plus rarement son cri…
L’affect :
En psychanalyse, tout ce qui advient dans notre vie est toujours formalisé ainsi R/Q. R = la Représentation que nous nous en sommes faite (à chacun son idée du citron) et Q = la Quantité d’affect qui y est rattachée. Et plus la quantité d’affect est importante, plus sa représentation est active.
Donc, si lors de votre voyage en Turquie, un de vos convives a manqué s’étrangler avec un morceau de citron, il est fort probable que vous vous rappeliez encore que citron, en turc, se dit « limon ».
En somme, plus nous associons une émotion à une information, plus celle-ci en est « lestée » et renforcée dans nos souvenirs.
Réactivation des connaissances :
En reliant une information nouvelle à des connaissances anciennes nous jouons un peu à la canne à pêche. De la sorte, les compétences acquises ameçonnent la nouvelle et la maintiennent dans leurs filets.
Nous n’énumèrerons pas là toutes vos recettes ou expériences culinaires dans lesquelles le citron a eu une place de choix.
Organisation et thématisation :
L’une des caractéristiques principales du cerveau est de fonctionner en réseau. Nous connaissons tous ce terme de « réseaux neuronaux ».
Eh bien, il s’avère qu’en regroupant les informations par thèmes, géographie, chronologie ou logique personnelle, nous inscrivons ces éléments dans nos réseaux de pensée.
Ainsi, citron fait partie du réseau sémantique fruit, mais aussi d’une expérience de voyage (le Limon turc ;-), de connaissances culinaires. C’est aussi une couleur particulière, une saveur de référence… Bref, si citron vous est aussi familier, c’est parce qu’il appartient à plusieurs de vos champs cognitifs.
Images et singularité :
Principal levier du cerveau : L’IMAGINATION ! Grâce à ce super-pouvoir dont nous disposons tous, nous pouvons créer des images qui vont générer des sensations, des émotions, tisser des liens avec ce que nous connaissons déjà, inscrire une information dans un, voire plusieurs, réseaux cognitifs…
Il suffit pour cela d’utiliser des métaphores. Et plus l’image que nous allons créer est originale (atypique, étrange, humoristique) plus elle va nous marquer. C’est le principe d’individualité qui fait que nous retenons mieux « ce qui sort du lot » (Ex : le titre du livre bleu dans la pile des livres rouges.)
🪚🪵🟡 : vous l’avez ? « Scie, tronc, jaune » Ce n’est pas très original en l’état, mais si vous visualisez que l’intérieur du tronc est jaune tout comme la sève qui s’en écoule, l’incongruité peut tout à fait renforcer l’impact mnésique de cette illustration.
La spatialisation :
Depuis les avancées en neuroscience, nous savons que l’hippocampe joue un rôle incontournable dans la mémorisation. Archaïquement programmé pour nous ramener coûte que coûte au bercail, cette porte d’entrée de la mémoire a une forte propension à la spatialisation.
Nora Newcombe, psychologue américaine, a su en tirer parti et a démontré dans ses travaux de recherche (2020) à quel point l’organisation visuelle de l’information dans l’espace favorise l’apprentissage.
Empiriquement, cette technique de mémorisation était connue depuis l’antiquité où Simonide de Céos en avait fait bon usage. Il avait ainsi identifié toutes les victimes d’un banquet sur lesquelles la bâtisse s’était effondrée et ce, en se souvenant de la place de chaque convive dans l’espace.
Cette technique est aujourd’hui connue sous le nom de palais de la mémoire dont vous trouverez une très bonne explication chez Olivier Olicard :
Mettre en sens et en mouvement :
Après-guerre, le pédagogue américain Edgar Dale, s’est rendu compte que plus nous mettons en œuvre, expérimentons ou modélisons un apprentissage, plus nous le mémorisons.
C’est là que la mise en récit d’informations à retenir va être fondamentale. Car en créant une « histoire » imaginaire, nous allons pouvoir : donner du sens à ce que nous souhaitons apprendre, tisser des liens thématiques, logiques, spatiaux… intégrer des éléments secondaires signifiants qui renforceront l’encodage en plus de nous servir d’indiçage, utiliser des images, intégrer des émotions, des sensations…
Ceci en est d’autant plus riche lorsque l’histoire est à la première personne du singulier « Je » car cela vient s’inscrire directement dans notre mémoire épisodique.
En revanche, ce que vous ne savez pas, c’est qu’avant mon anecdote turque, j’avais traversé l’Italie et découvert le citron bergamote dans ses plantations, tout au sud de la botte. Malgré la douce odeur des orangeraies, la chaleur était si pressante que j’avais poussé la curiosité jusqu’en Turquie. Mal m’en a pris tant l’aventure du limon est restée gravée dans mon esprit. J’ai donc poursuivi vers le Moyen-Orient et les fragrances de la limette de Palestine. Si sa saveur était douce, mon instinct d’autoconservation m’a rapidement incité à gagner la Perse. Ce fut la grande révélation. Le citron vert ! Si petit, vert et pourtant tellement parfumé ! J’ai cru que les Perses étaient à l’origine du Mojito ! Sauf qu’ils l’ont très mal pris. J’ai dû fuir en Chine et me réconforter au goût sucré du citron Meyer…
Structuration :
En plus de ranger les nouvelles informations dans l’espace, le fait de les organiser nous permet de nous les approprier activement.
L’exemple le plus connu et l’un des plus fonctionnels est celui de la carte mentale. Pour vous partager cette méthode, je vous l’ai illustrée sous la forme d’une carte mentale. Celle-ci mériterait d’être enrichie d’un plus grand nombre d’images mais la base est là.
Pour ceux qui ont une intelligence plutôt mathématique ou sémantique, une structuration logique, analytique ou linéaire peut être envisagée sous forme de plan structuré par exemple.
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Consolider nos apprentissages :
Aussi bien encodée soit-elle, l’information se doit d’être rappelée afin d’éviter que notre cerveau ne la considère comme inutile et ne l’efface.
C’est là le risque qu’a su démontrer l’ingénieux psychologue allemand, Hermann Ebbinghaus, dès la fin du XIXème siècle. Grâce à sa « courbe de l’oubli », nous savons que l’oubli est rapide juste après un apprentissage, puis ralentit progressivement avec le temps.
Suivant ses pas, un éducateur britannique, Tony Buzan, a proposé une méthode qui fait toujours ses preuves aujourd’hui.
Il propose de répéter l’information à intervalles croissants – 10 minutes, 1 jour, 1 semaine, 1 mois, 3 mois, 6 mois, 1 an.
Si cette technique renforce effectivement la mémoire à long terme en réduisant l’oubli, elle peut sembler difficile à mettre en œuvre.
Mais c’est sans compter sur les technologies de pointe que nous avons dans notre poche ! Il existe peut-être même des applications de rappel, ou de jeux type « flashcard ». (Si vous en connaissez, n’hésitez pas à les partager en commentaire.)
Pour ceux qui sont moins axés high-tech, il reste toujours la bonne vieille méthode des fiches de révision.
En résumé
Il est important de garder à l’esprit que la mémoire est un outil. Un outil actif qui s’exerce et s’aiguise par l’intention, l’organisation et la créativité.
En combinant associations sensorielles, émotionnelles et cognitives, en structurant et spatialisant l’information, en appliquant des stratégies de rappel, nous pouvons transformer n’importe quel apprentissage en une connaissance durable et vivante en nous.
Les techniques d’encodage et de tissage cognitif ne sont pas réservées aux experts ! Elles peuvent être intégrées avec jeu, plaisir et satisfaction dans nos vies quotidiennes. Elles sont là pour nous aider à mieux retenir, comprendre et partager nos savoirs.
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Bibliographie
Buzan, T. (1993). The mind map book. London: BBC Books.
Dale, E. (1969). Audiovisual methods in teaching (3rd ed.). New York, NY: Dryden Press.
Ebbinghaus, H. (1885/1913). Memory: A contribution to experimental psychology. New York, NY: Teachers College, Columbia University.
Locke, E. A., & Latham, G. P. (1990). A theory of goal setting & task performance. Englewood Cliffs, NJ: Prentice Hall.
Newcombe, N. S. (2020). Navigation and the developing brain. Journal of Experimental Biology, 223(Suppl 1).
Simonide de Céos. (Ve siècle av. J.-C.). Fragments et témoignages sur l’art de la mémoire.