Elsa Domenech

Freud, Antispéciste avant l’heure.

Non content d’avoir creusé le lit du féminisme à une époque où le patriarcat n’envisageait absolument pas d’autoriser les femmes à étudier la médecine et songeait encore moins à les écouter, Freud a pointé, dès 1917, l’écueil des hommes à s’être crus émancipés du règne animal.

Il en dénonce la prétention narcissique dans un article de 1917, intitulé « Une difficulté de la psychanalyse ».

 

Avangardiste du mouvement antispéciste, le texte parle de lui-même :

« L’homme s’éleva, au cours de son évolution culturelle, au rôle de seigneur sur ses semblables de race animale. Mais, non content de cette prédominance, il se mit à creuser un abîme entre eux et lui-même.
Il leur refusa la raison et s’octroya une âme immortelle, se targua d’une descendance divine qui lui permettait de déchirer tout lien de solidarité avec le monde animal.

Cette présomption, ce qui est curieux, reste encore étrangère au petit enfant comme à l’homme primitif. Elle est le résultat d’une évolution ultérieure, à visées plus ambitieuses. L’homme primitif, au stade du totémisme, ne trouvait nullement choquant de faire descendre son clan d’un ancêtre animal. Le mythe, qui contient le résidu de cette antique façon de penser, fait prendre aux dieux des corps d’animaux, et l’art des temps primitifs donne aux dieux des têtes d’animaux.

L’enfant ne ressent aucune différence entre son propre être et celui de l’animal ; c’est sans étonnement qu’il trouve dans les contes des animaux pensants, parlants ; il déplace un affect de peur inspiré par son père sur le chien ou sur le cheval, sans avoir en cela l’intention de ravaler son père. C’est seulement après avoir grandi qu’il se sera suffisamment éloigné de l’animal pour pouvoir injurier l’homme en lui donnant des noms de bêtes.

Nous savons tous que les travaux de Charles Darwin, de ses collaborateurs et de ses prédécesseurs, ont mis fin à cette prétention de l’homme voici à peine un peu plus d’un demi-siècle.
L’homme n’est rien d’autre, n’est rien de mieux que l’animal, il est lui-même issu de la série animale, il est apparenté de plus près à certaines espèces, à d’autres de plus loin.
Ses conquêtes extérieures ne sont pas parvenues à effacer les témoignages de cette équivalence qui se manifestent tant dans la conformation de son corps que dans ses dispositions psychiques. C’est là cependant la seconde humiliation du narcissisme humain : l’humiliation biologique. »

“ Une difficulté de la psychanalyse ”. Texte originalement publié en 1917. Traduit de l’Allemand par Marie Bonaparte et Mme E. Marty, 1933. L’article est publié dans l’ouvrage intitulé : Essais de psychanalyse appliquée. Paris : Éditions Gallimard, 1933. Réimpression, 1971. Collection Idées, nrf, n˚ 263, 254 pages. (pp. 137 à 147). Blog Psychanalyse et animaux, Joséphine Benchétrit, Mai 2011.

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