Pour se défendre de sa plus grande angoisse qui est de n’avoir absolument aucun contrôle sur son environnement, voire aucune compréhension de ce qui s’y passe vraiment, notre mental produit, en permanence, des suppositions.
Et pour tout vous dire, il en produit TELLEMENT qu’il ne s’en rend même plus compte.
Ainsi, dans sa lutte aussi vaine qu’effrénée contre l’impuissance de sa condition au monde, notre mental use de sa construction propre pour tenter de saisir l’extérieur, l’Autre, au regard de ce qu’il connaît, comprend, c-a-d de ce qui lui est familier.
S’il croit se rassurer de la sorte c’est uniquement par le truchement d’un déni massif de l’altérité, de la différence soi / autre, de notre posture d’être unique et singulier dans un monde tout aussi diversifié qui nous échappe complètement.
Oui, c’est la mauvaise nouvelle du jour…
Seconde mauvaise nouvelle… Il n’est en mesure de faire ces hypothèses, qu’au regard de son expérience propre, de son histoire de vie, de sa culture, de l’influence de son milieu socio-économique, mais aussi de son patrimoine génétique, de son genre, de son héritage transgénérationnel, de son éducation…
Soit un nombre à ce point démesuré de filtres qui, mis bout à bout, ne permettent plus du tout de voir l’Autre !
En somme, DÈS QUE NOUS FAISONS UNE SUPPOSITION, NOUS AVONS À PEU PRÈS 99,99% DE CHANCES DE NOUS TROMPER !!
Pire ! Lorsque nous ascénons à l’Autre le résultat de nos suppositions, nous lui infligeons le produit de nos projections, de cet ensemble de déductions qui ne parlent que de nous.
Par le fait, nous l’annihilons totalement !
Nos paroles ou nos actes relèvent alors d’une violence fondamentale car l’Autre n’existe plus.
Nous ne le rencontrons plus !
Prenons l’exemple d’une collègue de travail que nous saluons le matin et qui, ce jour-là, ne nous répond pas. Troublé dans ses repères, notre mental se met immédiatement à mouliner les quelques explications qu’il croit plausibles.
« Elle m’en veut pour ma remarque lors de la réunion d’hier. Elle n’a pas apprécié ma blague pendant le repas. Elle… Elle… Elle…»
Alors que si ça se trouve, notre collègue est accablée par la perte d’un proche, flotte sur le nuage de sa nuit d’amour, a mal au ventre et met toute sa concentration au simple fait de traverser le couloir… Qu’en savons-nous ?
Le plus simple serait évidemment de lui poser la question. Mais pour réussir à lui demander le pourquoi de son comportement, encore faut-il le faire depuis une posture ouverte, neutre et bienveillante.
Et c’est là qu’intervient la technique du « soufflé mental ».
⭐️⭐️⭐️
À ce jour, je n’ai pas réussi à élaborer meilleur outil sur cette question. Et pour l’avoir expérimenté avec nombre de mes patients, j’ai pu vérifier à quel point il est positivement opérant.
Nous allons utiliser 3 caractéristiques du mental :
- Sa propension à faire des suppositions.
- Son aversion pour l’effort et tout ce qui lui coûte en énergie mentale.
- Son sens logique.
La méthode est simple :
DÈS QUE NOUS PRENONS CONSCIENCE QUE NOUS FAISONS UNE SUPPOSITION, IL SUFFIT DE S’OBLIGER À EN FAIRE LE PLUS POSSIBLE.
Et lorsque je dis « s’obliger à en faire le plus possible » tout ce joue précisément à cet endroit.
=> Le fait que notre mental se trouve contraint à faire bien plus de suppositions qu’il en a l’habitude va devenir coûteux pour lui et il n’aime pas cela.
=> En lui imposant un très grand nombre d’hypothèses en tout genre :
« Ma collègue a trouvé son chat écrasé au bord de la route en prenant sa voiture; Elle n’a pas eu le temps de déjeuner et se demande ce qu’elle va pouvoir grignoter pour tenir jusqu’à midi; Elle vient d’apprendre que son mari la trompe; Elle a eu un entretien avec son chef qui s’est mal passé et vient aujourd’hui à reculons; Elle a reçu des résultats d’analyse qui l’inquiètent; Elle a une otite et entend très mal ce matin… »
notre mental va devoir se rendre à l’évidence QU’IL NE PEUT PAS SAVOIR !
Fort de cette première déduction logique, le poids des suppositions que notre mental avait pour habitude de produire risque d’en être un peu ébranlé. Pourtant, le mécanisme est tellement ancré qu’il va bien sûr recommencer.
Et c’est là que nos efforts vont rapidement porter leurs fruits.
La prochaine supposition repérée, l’exercice reprend.
Cela s’avère coûteux pour notre mental. Il n’aime pas cela. Cependant, comme il n’est pas idiot, il se rappelle de cette déduction logique qui ne lui plaisait pas : « mes suppositions sont vaines car je ne peux pas savoir. »
Le bras de fer entre « j’ai la maîtrise du monde car je le comprends » et « je n’ai aucun contrôle sur mon environnement » reprend alors.
C’est LÀ qu’il faut tenir bon.
En échafaudant autant d’hypothèses possibles qu’inimaginables, c-a-d « en gonflant au maximum le soufflé de nos suppositions », arrive inévitablement le point de rupture à partir duquel notre mental n’a plus d’autre issue que de s’avouer vaincu.
La déduction logique s’impose une nouvelle fois à lui. Le soufflé de ses fantasmes à maîtriser ce qui ne relève pas de lui retombe inexorablement.
Et comme cela lui a pris beaucoup d’énergie, il commence à se demander s’il n’aurait pas meilleur compte à intégrer cette information plutôt que de s’agripper à ses illusions de « contrôle » et de « compréhension » du monde…
De la sorte, après de plus en plus de victoires à notre palmarès 🏆, notre mental (un peu vexé…) va devoir organiser une autre posture à l’Autre et au Monde.
La moindre supposition lui rappelant ses échecs cuisants, il va ainsi intégrer, réaliser, conscientiser, qu’IL NE SAIT PAS et que la seule chose rentable qu’il peut véritablement mettre en œuvre consiste à ALLER À LA RENCONTRE DE L’AUTRE.
Ainsi, en imaginant que cette collègue de travail soit ce matin en peine d’avoir dû contracter un emprunt à la consommation parce qu’elle ne s’en sort pas avec ses 2 enfants, cela n’est-il pas plus intéressant de lui demander « comment tu vas ? »
Et puis si en vérité elle était troublée par un test de grossesse positif avant d’arriver, n’est-il pas plus enthousiasmant de partager cette joie avec elle que de culpabiliser pour ce que nous imaginions « lui avoir fait » ?
EN VOUS SOUHAITANT LE PLUS GRAND NOMBRE DE SOUFFLÉS RATATINÉS !
Crédit photos : A. Franquin, « Gaston » tome 16 « Gaffes, bévues et boulettes. », Ed. Dupuis. 2005.