Peut-on véritablement croire en nos pensées ? En ce que nous voyons ? En nos perceptions ?
Une réponse par oui ou non ne pourrait satisfaire une telle question. En psychologie on dirait plutôt que nos observations sont en partie vraies et en partie biaisées par la particularité de notre psyché.
Celle-ci s’étant construite sur un socle de croyances, d’attentes, d’intentions, ou encore d’expériences toutes interdépendantes de singularités culturelles, sociales, familiales et individuelles, il est parfois difficile d’en soupçonner l’impact sur ce que nous aimerions définir comme « la réalité ».
Ainsi, lorsque la légende raconte que les indiens d’Amérique n’auraient pas vu arriver les caravelles de Christophe Colomb sous prétexte qu’ils n’en avaient jamais vu, d’une certaine manière ce n’est peut-être pas complètement faux.
En effet, on le constate dans le cas des agnosies visuelles telles que décrites par O. Sacks dans « L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau ».
Lorsqu’une personne perd le « catalogue » de ses images connues, elle se trouve en grande difficulté pour identifier des êtres autant que des objets. Pourtant, elle perçoit parfaitement toutes les formes, perspectives, motifs, couleurs…
Depuis lors, les neurosciences ont démontré que nos appareils perceptifs étaient beaucoup plus limités dans leur capacité que ce que l’on croyait et que, pour y pallier, notre cerveau comblait les manques avec « ce qu’il connait ».
C’est ainsi que dans l’image suivante, la plupart des gens voient la ballerine du milieu tourner dans le sens des aiguilles d’une montre. C’est un sens dont nous sommes imprégnés depuis tout petit lorsque nous regardons une horloge ou quand nous apprenons à lire de gauche à droite…
Parce qu’il lui manque des informations, notre cerveau « décide » qu’elle tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. Pourtant, en ajoutant des indices, les images de gauche et de droite permettent de voir cette ballerine tourner dans un sens ou dans un autre.
Ainsi, lorsque vous masquez l’image de gauche, et regardez l’image de droite, vous voyez tout naturellement la ballerine du milieu tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
Évidemment, cette capacité qu’à notre cerveau à combler les manques de ce qu’il ignore, ne se limite pas au champ des perceptions.
La psychanalyse use ainsi du terme de « réalité psychique » pour entendre justement, ce qui dans le vécu d’une personne relève de cette coconstruction entre le « concret » et le prisme de son interprétation.
Car oui, notre cerveau est à ce point performant en la matière qu’il redessine constamment notre réalité suivant le filtre de nos croyances.
De la sorte, si nous nous levons du pied gauche et « pensons » que cette journée va être horrible, notre cerveau va diminuer l’intensité des couleurs, la luminosité de la ruelle que nous traversons, focaliser sur la crotte de chien plutôt que sur le petit pissenlit, augmenter le volume sonore des voitures et baisser celui des oiseaux…
Bref, il LÉGITIME TOUJOURS NOS CROYANCES aussi fausses soient-elles.
Et il procède encore ainsi lorsque, nous croyant moche, nous ne voyons sur une photo que nos défauts.
Lorsque, nous croyant inintéressant, nous lisons la lassitude dans le regard pourtant concentré de notre interlocuteur.
Lorsque, ne nous croyant pas aimable, nous n’entendons pas l’affection qui nous est témoignée.
Lorsque, nous croyant en danger, nous évitons l’inconnu qui voulait nous demander son chemin…
À bien y regarder, il s’avère fort difficile pour un humain de voir, dans son environnement, autre chose que ses propres pensées.
D’où l’importance de les interroger constamment pour en lever chaque voile « occultant » et parvenir aussi à accueillir la réalité d’autrui comme une vérité tout aussi « vraie » que la nôtre, même si fondamentalement différente.
Par le doute, l’écoute et les questions il est possible de nous prémunir non pas de ces biais, mais de leur portée. Ne leur donnons pas plus de crédit qu’ils en ont, car ils ne sont, au fond, qu’illusion.
Pour aller plus loin, je vous propose ce remarquable exposé du psychologue clinicien et neurologue Albert Moukheiber.